Louis Stettner “My way of life, my very being is based on images capable of engraving themselves indelibly in our inner soul’s eye.”


Né en 1922 à Brooklyn et mort en 2016 à Paris, Louis Stettner est l’un des maîtres de la photographie américaine du 20e siècle. Son nom est discrètement présent dans les ouvrages d’histoire malgré la richesse de son œuvre photographique. Avec un pied sur chaque continent : de New York en Espagne, en passant par la France et le Mexique, l’œuvre de Louis Stettner occupe une place singulière dans l’histoire de la photographie.

Originaire d’une famille juive autrichienne, le jeune Stettner apprend la photographie dès l’âge de quinze ans avec une caméra Kodak Brownie offerte par ses parents. Durant son adolescence, il visite régulièrement la salle de lecture du Metropolitan Museum of Art de New York et forme son regard en consultant les photographies conservées dans les réserves. En 1939, il prend des cours de photographie et perfectionne ses connaissances du médium à la Photo League, un groupement qui a fait émerger une génération importante de photographes dont Berenice Abbott et Sid Grossman.

Lorsqu’il arrive à Paris en 1946 après avoir été photographe pour l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, Stettner travaille avec un penchant fort pour le style d’Alfred Stieglitz, de Paul Strand ou de Weegee. Installé à Paris entre 1946 et 1952, il s’inscrit dans une filiation nette avec les photographes humanistes français : Édouard Boubat, Robert Doisneau et Izis. Progressivement, il s’éloigne de ses aînés et développe un style unique à l’aide d’une chambre photographique grand-format. Grâce à sa maitrise de l'instantanée, il documente avec éloquence le Paris de l’après-guerre : une jeune femme assise à la terrasse d’un café à Pigalle , les quais de Seine et les monuments de la ville.

À propos de ses années parisiennes, Louis Stettner se remémore dans son texte Paris Revisited (1971) : « Le plus important était peut-être l'amitié généreuse des photographes plus âgés. Il y avait des visites hebdomadaires chez Brassaï : son petit appartement de la rue Saint-Jacques était rempli d'objets chinés au marché aux puces : des objets insolites, qui n'étaient ni des antiquités ni des curiosités, mais plutôt des objets historiques qui témoignaient de la vie qui les entourait (un peu comme ses photographies de graffitis sur les murs) [...] Si vous lui montriez vos propres photographies, il commençait par exprimer son appréciation, puis il formulait uniquement les critiques nécessaires. » Techniquement, Louis Stettner ne recherche pas l’innovation du médium dans son œuvre mais il reprend subtilement les questionnements de son époque : le rapport à la norme et à la marge, le lien entre les hommes et leur environnement urbain.

Stettner revient à New York en 1952 et enseigne à Long Island University dans les années 1970. En parallèle, il est actif pour la presse et ses photographies sont publiées dans des revues de renom comme Life, Paris Match ou Time. Les jeux de lumière dans ses séries new-yorkaises des années 1950-1980 nous replongent avec intensité dans la frénésie urbaine d’une ville en pleine ébullition. Il donne à ses portraits de ville un ton personnel comme dans sa célèbre photographie Manhattan from the Brooklyn Promenade (1954). En raison de sa sensibilité, son écriture photographique est caractérisée par un profond lyrisme comme en témoignent ses images de New York sous la neige.

En 1990, Louis Stettner s'installe avec son épouse dans la banlieue parisienne de Saint-Ouen et il reçoit la médaille de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2001. En 2016, le Centre Pompidou lui dédie une rétrospective d’envergure accompagnée d’un catalogue d’exposition publié aux éditions Xavier Barral. Le commissaire de l’exposition Clément Chéroux commente au sujet de Louis Stettner (Code Couleur, n°25, mai-août 2016, pp. 38-39) : « Une rue de Paris à l’aube, un rayon de lumière entre deux gratte-ciels à New York, des reflets sur l’asphalte mouillé. Il y a dans les images de Louis Stettner une qualité atmosphérique que l’on ne voit nulle part ailleurs dans l’histoire de la photographie de la seconde moitié du 20e siècle. Par-delà son attention aux épiphanies lumineuses, le photographe sait aussi capter, avec une incomparable acuité, ce qui fait l’allure d’un être : le rythme de la marche sur les trottoirs des villes, l’abandon d’un corps sur un banc public, le geste précis du travailleur, etc. »

Tout au long de sa carrière, Louis Stettner a réalisé des enquêtes visuelles sensibles et engagées à travers ses échanges incessants des deux côtés de l’Atlantique. Ses photographies sont aujourd’hui conservées dans les plus grandes institutions américaines : le Metropolitan Museum of Art à New York, le MoMA et Whitney Museum of American Art de New York. En France, son œuvre a été présentée pour la première fois en 1949 à la Bibliothèque nationale de France — à qui il a fait don en 1975-1976 de 70 épreuves et de 2 portfolios — puis une seconde fois en 2012. En 2013, le Centre Pompidou a acheté une trentaine d'œuvres de Louis Stettner. Le photographe américain a ensuite désigné le musée parisien comme lieu d'accueil de son travail, et a fait don d'une centaine de tirages vintage à l'institution, un don supplémenté de sept autres œuvres dont l'unique maquette du projet de livre de 1956, Pepe & Tony, deux pêcheurs d’Ibiza, acquis grâce à la générosité d’Hervé et Etty Jauffret. L’ensemble exceptionnel ici présenté de 34 tirages argentiques signés est en provenance directe de l’atelier de l’artiste et il se distingue du fait de son nombre et de la qualité de ses épreuves.
 
Isabella Seniuta, docteure en histoire de l’art contemporain, spécialiste de photographie